A la rencontre d'Ambroise de Loré

 

Une fois quitté la départementale 138, entre Oisseau et Châtillon-sur-Colmont, le voyageur emprunte la petite route sinueuse de notre verte campagne, effleure la ferme de l'Eclèche et s'enfonce au creux du vallon. Les pentes, les taillis, les prairies, les vues lointaines sont si harmonieusement distribués, qu'à tout moment on devine, planté dans le décor, la demeure ancestrale des Seigneurs de Loré. 

Cette pittoresque bâtisse a des origines bien imprécises. Des murs anciens percés de meurtrières, des mâchicoulis en saillie transportent le visiteur à l'époque de la féodalité.

Chaque pierre raconte une histoire, évoque un passé tumultueux: celle des hommes et des femmes qui jadis habitaient ccs lieux. Des souvenirs qui rappellent leurs lointaines racines. Loré, c'est la demeure de l'un des plus nobles guerrier, né à Oisseau vers 1396 ! : Ambroise de Loré.

Les premières curiosités du jeune Ambroise, se sont éveillées dans le magasin d'armes de son père, où luisent les armures, casques, piques, épées, masses et haches de combat, aux côtés des boucliers entassés. Comme tous les enfants de son âge, le futur chevalier a joué en compagnie de ses frères et de ses camarades de jeux, autour des nombreux étangs de Loré, sauté les fossés des champs, grimpé aux arbres.

Ambroise s'est caché dans les taillis du Tail, enflé sa voix pour imiter les cris de guerre. Quel amusement lui procura la manœuvre du pont-levis, hérissé de  pointes de fer dans les massifs ventaux de chêne et surtout de la herse montant et descendant dans ses rainures au grincement de son treuil.

Ainsi, tous ces objets s'accordent à préparer notre jeune Ambroise de Loré au métier des armes. Il a été en principe confié aux femmes jusqu'à l'âge de sept ans. Il passera ensuite entre les mains des hommes.

 

" Les chansons de geste attestent qu'au Moyen-âge, les petits nobles apprenaient à monter à cheval à cinq ans et étaient capables à six ans de soutenir le galop ". 

 

Il n'est donc pas extraordinaire de voir, Ambroise de Loré âgé de 19 ans, participé à la terrible bataille d'Azincourt le 25 octobre 1415. Aussi longtemps que Dieu lui donnera vie, il saisira toute occasion de courir " Sus à l'Anglais ".

Et avec quelle ardeur joyeuse. Son histoire est pleine de bruits et de fureurs de guerre. Elle commence à la fin du XIVe siècle sous le règne de Charles VI, le Bien Aimé Roi de France.

Voici  un brève écho des aventures d'Ambroise de Loré. Loré, une seigneurie qui a donné son nom à la terre de Loré.

Le texte ci-dessus est de moi J-P

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" Sus à l'anglais "

 

" Ambroise de Loré naquit à Oisseau vers 1390 ou 1396 au manoir de Loré. Il fit ses premières armes à la bataille d'Azincourt. Les années suivantes, nous le voyons s'attacher à la fortune du célèbre chef armagnac Tanneguy du Châtel. De Loré joue un rôle très actif, au moment de l'entrée des Bourguignons à Paris. C'est lui qui, à cette heure critique, contribue le plus avec Tanneguy du Châtel à soustraire le dauphin de France aux mains, peut-être même au poignard des vainqueurs. Ambroise de Loré l'escorte jusqu'au pont de Charenton.

 

Là, il s'établit avec sa petite troupe afin de permettre au prince de gagner, sans péril désormais, la ville de Melun, lieu de sa retraite. Quelques mois plus tard, les Anglais, maîtres de la Normandie, ayant commencé à envahir le Maine, le sire de Loré accourt aussitôt défendre son pays (1417). C'est alors que dans toute l’étendue du Bas-Maine éclate cette guerre de partisans qui l'ensanglantera pendant tant d'années, mais dont nos ancêtres finiront par sortir victorieux et libres.

 

Ambroise de Loré, bien souvent, ne dispose pour lutter contre les Anglais, que d’une poignée de soldats : cela lui suffit pour harceler et tenir en échec des armées entières. Presque aucun combat de quelque importance ne se livre sans qu'il y prenne part. Sa petite troupe évolue à travers le Maine, la Normandie et l'Anjou avec une mobilité et une rapidité surprenantes. On le croit encore enfermé dans l'une ou l'autre de ses places fortes qu'il est déjà rendu aux portes de Baugé, du Mans, de Caen ou de Fougères. S'il est insaisissable aux Anglais, par contre nul n'est mieux renseigné que lui sur leurs marches et les positions qu'ils occupent, nul ne pénètre avec plus de sagacité leurs plans et leurs desseins.

 

 

C'est d'ailleurs le portrait que trace  P. Daniel, dans son Histoire de France : « Ce seigneur, dit-il, était un des capitaines du parti du roi, le plus alerte et qui donna le plus de peine aux Anglais dans tous les lieux où il commandait. Jamais personne n'entendit mieux que lui la petite guerre de campagne, à conduire des partis, à les employer à propos, et ne mit en usage plus de stratagèmes et avec plus de succès pour surprendre les ennemis ».

De tous les seigneurs du Bas-Maine, Ambroise de Loré fut le premier à offrir son épée à Jeanne d'Arc. On signale sa présence à la cour dès la fin de mars ou, tout au plus tard, au début d'avril 1429. Le duc d’Alençon le rencontre près de la reine Yolande un jour qu'il vient s'entretenir avec cette princesse d'un convoi de vivres que l'on va diriger sur Orléans.

 

Quand l’heure du départ est venue, c'est sur lui que le dauphin jette les yeux pour conduire la Pucelle à Blois, où vont se concentrer les troupes. Un tel choix dut être agréable à Jeanne d'Arc. Notre vaillant compatriote ne pouvait, en effet, manquer de lui inspirer grande confiance. A une époque où les armées étaient remplies de gens sans aveu, où les chefs trop souvent donnaient l'exemple de la cruauté et de la débauche, Ambroise de Loré avait su se garder juste et honnête autant qu'il était brave. Les Anglais eux-mêmes rendaient hommage à sa parfaite loyauté, et plus d'une fois ils le prirent pour arbitre de leurs différends. Un autre motif qu'avait la Pucelle d'accorder tout de suite son estime à Ambroise de Loré, c'était qu'il avait combattu, comme le duc d'Alençon, pour la délivrance du Mont-Saint-Michel. Nous avons eu déjà occasion de remarquer combien Jeanne d'Arc était touchée de tout ce qui pouvait tourner à la gloire du bienheureux archange, son conseiller et le protecteur de notre patrie. Chose qui surprendra peut-être quelques-uns de nos lecteurs, et qui cependant est une preuve de plus du jugement et de la prudence d'Ambroise de Loré, ce guerrier si vertueux, si chrétien ne paraît pas avoir été immédiatement convaincu du caractère surnaturel de la mission de Jeanne d'Arc.

 

« Trop expérimenté ", a écrit M. Robert Triger, " pour s'abandonner aux illusions trompeuses, il se défie d'abord de cette extraordinaire bergère devenue général, et aux injonctions formelles de Jeanne, il oppose des considérations stratégiques forts sages en apparence ". Deux fois nous voyons Ambroise de Loré, tout en se montrant pour elle plein de respect et de déférence, émettre et appuyer un avis différent de celui de la Pucelle. A Blois, lorsque, avec Dunois, il décide que l’armée se dirigera sur Orléans par la Sologne, tandis que Jeanne voulait s'avancer, du côté de la Beauce, par la rive droite de la Loire. A Orléans, où, la veille de la prise de la bastille des Augustins, les capitaines décident entre eux que l'on cachera à la Pucelle le plan d'attaque adopté pour le lendemain. Jeanne d'Arc, qu'Ambroise de Loré est venue chercher, s'aperçoit du reste promptement qu'on veut l'induire en erreur. Elle laisse les capitaines faire leur simulacre de délibération en sa présence, puis les prenant directement à partie :

" Dites au vrai ce que vous avez conclu ", demande-t-elle : "  Je saurai garder de bien plus grands secrets ».

 

Ces doutes d’Ambroise de Loré durèrent peu. Il ne tarda pas à reconnaître qu'il se trompait, que la Pucelle venait de Dieu et faisait l'œuvre de Dieu : il l'avoua alors très franchement. « J'ai entendu ", affirme le duc d’Alençon, " des capitaines qui avaient pris part aux opérations déclarer que ce qui s'était fait à Orléans tenait du miracle ; que c’était là une œuvre d'en haut, non une œuvre humaine. C'est ce que m'a dit notamment, à plusieurs reprises, le seigneur de Loré, naguère gouverneur de Paris ».

 

La conversion est complète et définitive, on le voit. A partir de ce moment, Ambroise de Loré est conquis : il ne cessera plus de soutenir, en toute occasion, la Pucelle et les avis de la Pucelle. Jeanne d'Arc n'aura pas de plus fidèle compagnon d’armes ni de plus dévoué.

Mais revenons un peu en arrière. C'est le 29 avril, au soir, que Jeanne d'Arc fit son entrée triomphale à Orléans, amenant un premier convoi. Les vivres, malgré ce secours, allaient manquer : on décida d'en aller chercher d'autres à Blois, et de Loré fut chargé de cette mission périlleuse. Il revint à Orléans le 4 mai et fut assez heureux pour introduire, dans la ville, vivres et troupes, sans combat,

sous les yeux de l'ennemi.

 

Le même jour avait lieu l'attaque et la prise de la bastille de Saint-Loup ; le 6, la bastille des Augustins tombait au pouvoir des Français ; le 7, c'était la bastille des Tournelles que Jeanne enlevait de vive force ; le 8, les Anglais déconcertés battaient en retraite. Ambroise de Loré prend part à tous les assauts.

 

Après la levée du siège d'Orléans, Jeanne d'Arc veut savoir dans quelle direction se replient les différents corps de l’armée anglaise : c'est de Loré et la Hire qu'elle détache en éclaireurs, avec une centaine de cavaliers, pour suivre et observer l'ennemi pendant près de huit lieues.

Ambroise de Loré donne, à l'avant-garde, à Meung et à Beaugency. A Patay, il commande avec Xaintrailles les 1 500 cavaliers qui, tombant à l'improviste sur plus de 4.000 Anglais retranchés derrière de lourds pieux ferrés, jettent dans leurs rangs un tel émoi et un tel désordre « que les Anglais ne peuvent plus entendre à eux ordonner et mettre en bataille. » Dans la marche sur Reims, il apparaît toujours en première ligne. L’armée royale, arrivée devant Troyes, les habitants refusent, pendant cinq jours, d'ouvrir leurs portes. Le sixième, craignant que leur ville ne soit prise d'assaut, ils se décident à la rendre au dauphin mais à condition que les soldats n'y séjourneront pas et qu'ils passeront la nuit en dehors des remparts. Charles VII et les principaux capitaines pourront seuls y demeurer. Cette clause de la capitulation s'explique sans peine quand on sait les violences, les déprédations de toutes sortes auxquelles se livraient les soldats à cette époque, même dans les villes amies ou alliées. Mais la faire accepter d'une armée victorieuse qui vient de supporter les affres de la faim par suite de la résistance des habitants, ne paraissait pas chose facile.

 

Charles VII confie ce soin à notre compatriote. Il lui donne le commandement en chef des troupes qui vont rester au camp. Si grande était l’autorité que le courage, l'audace et la fermeté d'Ambroise de Loré lui avaient acquise, qu'aucune réclamation ne se fit entendre, qu'aucun désordre ne se produisit. « Et le lendemain tous passèrent par ladite cité en belle ordonnance, dont ceux de la ville étaient bien joyeux ». Après Reims, quand l'armée royale se dirige tantôt vers la Loire et tantôt vers Paris.

 

Nous retrouvons de Loré à son poste de prédilection, à l'avant-garde. Avec Xaintrailles et vingt cavaliers, à travers futaies, taillis et ravins, il suit, il épie tous les mouvements de l'armée du duc de Bedford qui s'avance vers Senlis, puis va reporter au roi les précieuses indications qu'il a pu recueillir. En cette circonstance, il ne tint pas à lui que les Anglais ne fussent complètement écrasés au passage d'une rivière qu'ils ne pouvaient traverser que deux à deux. Par malheur, les Français ne pressèrent pas assez leur marche: ils ne surent pas profiter de l'occasion qui s'offrait (14 août). Dix jours plus tard, il ralliait à Senlis Jeanne d'Arc et le duc d’Alençon qui venaient de quitter Compiègne, sans l'agrément du roi, et se dirigeait avec eux vers Paris. Mais le 29 août, Lagny, place de première importance, qui commande le passage de la Marne, avant fait sa soumission à Charles VII, Ambroise de Loré en fut nommé gouverneur. Il s'y rendit aussitôt. C’est là que le 13 septembre, le vaillant guerrier eut la douleur de voir passer les troupes royales qui abandonnaient le siège de Paris pour se replier sur la Loire. C’est là que, ce même jour, il fit ses adieux à la Pucelle.

 

Ambroise de Loré, qui avait été reçu « à grande joie » par les habitants de Lagny, se mit aussitôt en devoir de les défendre contre les attaques des Bourguignons et des Anglais ; « Il leur tint si grandes et si fortes escarmouches, par trois jours et trois nuits, que lesdits Anglais et Bourguignons n'approchèrent oncques des barrières plus près que du trait d'une arbaleste ». Au mois de novembre. Ambroise de Loré forma le projet de s'emparer de Rouen. Il noua des relations avec un Rouennais, Grandpierre, qui s’engagea à lui livrer une des portes de la ville. Ce coup de main hardi pouvait avoir des conséquences incalculables : c'était la capture du duc de Bedford et

probablement, en même temps, le signal d'un soulèvement général en Normandie et dans le Maine. Toutes les précautions de Loré étaient prises, son plan minutieusement étudié et arrêté fut soumis au conseil royal qui fit, hélas ! tout échouer par ses inconcevables lenteurs.

 

Le mois suivant, Ambroise de Loré, sans doute mécontent, découragé par cet échec et d'ailleurs rappelé par le duc d'Alençon, remettait le commandement de Lagny à son lieutenant Foucault. De retour dans le Maine, il s'enferme dans la forteresse de Saint-Cénery où, à cinq reprises, les Anglais viendront l’assiéger.

A la fin, en 1435, il ne faudra pas moins de 15.000 hommes4 pour avoir raison de sa résistance. Entre-temps, il s'échappe de son nid d'aigles pour aller battre des colonnes anglaises isolées, surprendre Caen, organiser une révolte de paysans autour de Bayeux, porter secours au duc d'Alençon puis le réconcilier avec le duc de Bretagne.

 

C'est dans sa forteresse de Saint-Cénery qu'on lui annonça la prise de Jeanne d’Arc à Compiègne, son jugement et sa mort sur le bûcher de Rouen. Hélas ! ni Ambroise de Loré, ni aucun de ses compagnons d'armes du Bas-Maine ne pouvaient, à ce moment-là, venir en aide à la Pucelle. En 1430 et 1431, André de Lohéac est à Laval d'où il ne sort que pour combattre le comte d'Arondel ; Guy XIV et le duc d'Alençon protègent leurs domaines contre les Anglais toujours menaçants. Tous, du moins, continuent de travailler à l’oeuvre qu’elle a si merveilleusement commencée.

 

Ambroise de Loré, pas plus que Jeanne d'Arc, n'eut le bonheur de voir cette oeuvre achevée. Après avoir été fait prévôt de Paris, par Charles VII, en 1436, charge qu'il remplit à la satisfaction générale, donnant de sages règlements aux marchands et aux ouvriers et réprimant avec énergie la licence et les brigandages des soldats, Ambroise de Loré mourut en 1446, âgé de 50 ans. Il laissait une mémoire sans tache et la renommée d'un capitaine aussi habile que vaillant. et aussi ferme pour ses soldats que juste et humain pour ses ennemis.